samedi 30 mars 2013

POESIE DANS UN JARDIN JAPONAIS

















Jardin japonais de Buenos-Aires / Mars 2013
Photographies by Sébastien Paul Lucien

mercredi 20 mars 2013

L'AVENTURE D'UN POÈTE




"Maintenant, elle était nue. On ne distinguait pas la peau plus claire des seins et des hanches, car il émanait de son corps tout entier une lueur bleutée, de méduse. Delia nageait sur le côté, avec des mouvements indolents, le visage ( une expression figée, un peu ironique, de statue) toujours au ras de l'eau ; de temps en temps se dessinait la courbe d'une épaule ou la ligne douce du bras allongé. L'autre bras, avec des mouvements de caresse, couvrait et découvrait le sein dressé, tendu à la pointe. Les jambes battaient à peine l'eau, soutenant le ventre lisse que marquait le nombril, ainsi que sur le sable une empreinte légère, et comme l'étoile d'un fruit de mer. Les rayons du soleil, en se reflétant dans l'eau, flottaient autour d'elle, l'habillant et la dénudant tour à tour.



De la nage, elle passa à des mouvements comme de danse ; arrêtée entre deux eaux, souriant vers lui, Delia allongeait ses bras dans une rotation cajoleuse des épaules et des poignets ; ou bien, par une brusque détente du genou, elle faisait jaillir son pied cambré, tel un petit poisson.

Usnelli, dans le canot, ouvrait de grands yeux. Ce que la vie lui offrait en cet instant, c'était il le comprenait bien, quelque chose qu'il n'est point donné à tous de regarder les yeux grands ouverts, pas plus que le centre aveuglant du soleil. Au coeur de ce soleil, le silence. Ce qui était renfermé en un pareil instant, rien jamais ne saurait le traduire ; pas même un souvenir sans doute."



L'aventure d'un poète in Les amours difficiles
ITALO CALVINO

samedi 16 mars 2013

POÉTIQUE DES RUINES















Photographies de Pompéi par Sébastien Paul Lucien

dimanche 10 mars 2013

VENISE SPECTRALE



Extraits de " De l'utilité et l'inconvénient de vivre parmi les spectres"
in NUDITÉS de Giorgio Agamben

"Venise ne parvient plus qu'à émettre des murmures. Ce sont ceux d'un spectre. Il surgit à l'improviste pendant une promenade nocturne, quand au passage d'un petit pont, le regard glisse le long du rio plongé dans l'ombre, vers une fenêtre lointaine qu'éclaire une lueur orangée et que, sur un autre pont identique, un passant qui regarde lui tend un miroir embrumé."



"Et c'est encore ce même spectre que l'écho invisible d'une dernière note de lumière tenue à l'infini sur les canaux permettait  à Marcel d'apercevoir sur les reflets des palais dans leurs atours toujours plus sombres."




"La spectralité est une forme de vie. Une vie posthume ou complémentaire, qui commence une fois seulement que tout est fini et qui a donc, par rapport à la vie, la grâce et l'astuce incomparable de ce qui est achevé, l'élégance et la précision de qui n'a plus rien devant soi. Ce sont des créatures de ce type qu'Henry James a appris à connaître à Venise, tellement discrètes et fuyantes que ce sont toujours les vivants qui viennent envahir leur demeure pour forcer leur résistance."



"La ville et la langue renferment la même utopie et la même ruine, nous nous sommes rêvés et nous nous sommes perdus dans notre ville comme dans notre langue, et elles ne sont rien d'autre que la forme de ce rêve et de ce désarroi."


"Si nous comparons Venise a une langue, alors habiter Venise c'est comme étudier le latin, essayer d'ânonner une langue morte, apprendre à se perdre et à se retrouver dans les ruelles des déclinaisons et dans les ouvertures imprévues des supins et des infinitifs futurs. La langue morte, en vérité, est comme Venise, une langue spectrale, dans laquelle nous ne pouvons pas parler, mais qui à sa façon, sait frémir et faire signe et susurrer."


Photos Sébastien Paul Lucien 2012

mercredi 6 mars 2013

LES DÉSARÇONNÉS DE QUIGNARD


"Tous les enfants trouvent dans ceux qui les ont conçus le modèle de leur malheur."

*
"Dieu dit : Meliores sumus singuli. Nous sommes meilleurs isolés.
Il n'est pas judicieux de poursuivre les souhaits de ses parents. Il est malencontreux de suivre les voeux du groupe. Que rien ne transfère sur ta tête. Evade-toi du transfert. Cesse de servir. "Partout la haine est primaire" veut dire " Partout la solitude est préférable."



"La vie de chacun n'est pas une tentative d'être. Elle est l'unique essai... La vie ne connaît pas "le texte original " de la mort. Elle ignore "le texte définitif" où elle verse. Mais on a sous la main des épreuves, des impressions, des ébauches, des brouillons, des commencements, des manuscrits."


"Cela tombe comme la foudre; cela fond comme l'aigle; cela renverse la prédiction; toute vraie pensée désarçonne le curieux habitant de l'âme, colonisé par la langue, submergé par le rêve, orienté par la faim, affolé par le désir."


"La voluptas est un taedium vitae. L'orgasme est un dégoût de la vie. C'est une défascination. A l'instant de sa réalisation la reproduction de la vie se dé-chaîne et dé-voile sa face de mort. La vie vient se dégoûter d'elle-même dans la plus grande de ses joies... De cette amertume à l'intérieur même du plaisir naît la tristitia, qui est inexcitabilité du désir, endormissement de l'âme, rêve et aussitôt, dans le rêve, regret du désir, hallucination de la jouissance..."


"Pourchasser et lire ne se discernent pas chez le lettré : in-citation des passages que ses yeux lisent et ek-citation des fragments que sa main arrache au sein des livres qu'il lit."


"Il faut aller quérir là-bas, seul, au-delà du monde visible, au-delà du monde connu, dans le territoire jamais vu, dans la forêt aventureuse, dans l'origine, sous la peau, dans le coeur, dans le ventre, dans la grotte, la force qui manque ici."


"La seule chose interdite dans la vie sociale : ne pas hurler avec les loups.
La démocratie : le plus grand nombre de loups qui hurlent dicte le hurlement de tous.
L'essence de la morale: celui qui ne hurle pas avec les loups est dévoré par eux."


"Il faut engager une lutte -à fond perdu- contre le social. Mais ne surtout pas l'engager un contre tous. Ne surtout pas l'engager comme un bouc émissaire qui en assurerait l'unanimité en amoncelant les pierres dans les mains tendues de tous ceux qui le visent. Il ne s'agit pas d'engager une lutte intégrale pour y périr. Il faut engager une vie secrète où survivre."


"Tout est perdant, tout est perdu, tout est fragile, tout est rare et tout, devenant moins nombreux, devenant plus rare, devient splendeur. Splendeur d'autant plus irradiante qu'elle se fait plus rare et plus éparse."


"OTIUM ET LIBERTAS, telles étaient leurs valeurs.
Voilà pour moi le rêve : une compagnie de solitaires.
La seule chose, à quoi je confie mes heures, qui est certaine, c'est que la lecture, dans le monde, la réalise, chaque fois qu'un livre s'entrouvre."


fragments de "LES DÉSARÇONNÉS"  Dernier Royaume VII  de Pascal Quignard
croquis anonymes du XVIIIème siècle