dimanche 26 février 2012

LES BIEN-AIMÉS


L'œuvre cinématographique de Christophe Honoré me laisse souvent perplexe, à la fois séduit et agacé. A part "Les chansons d'amour" qui est un mélodrame original et parfaitement maîtrisé, un film en état de grâce, le reste de ses travaux me convainc rarement. Avec "Les bien-aimés" on a affaire à un objet hétéroclite et mal cousu où un certain charme finit par l'emporter malgré des aspects absolument insupportables.




MES RAISONS POUR MAL AIMER:
- la première heure est d'une platitude et d'un ennui total malgré les effets de couleurs et le style Nouvelle vague digne d'un plagiat pour pub de Eram. ( on y parle pas mal de shoes du reste)
- voir Louis Garrel perdre son charme et Ludivine Sagnier minauder
- l'exploitation visiblement consentie du couple mythique Deneuve/ Mastroianni et de leur fille Chiara dans une transcription à peine voilée et très impudique à mon goût de leur histoire familiale ( du moins on ne peut pas s'empêcher d'y penser et ça brise un peu le mythe)
- l'histoire du médecin tchèque c'est vraiment de la récupération de la figure de Milan Kundera, trop facile, trop vernis intello....
- la manie de faire fumer ses personnages est un tic de facilité visuelle et une faiblesse dans la direction d'acteurs ( la militance d'Honoré pour le droit à la clope est un combat périmé )
- pareil pour les cheveux mal coiffés style "je sors du lit avec mes pulls déformés et mes écharpes qui traînent". A 20 ans oui c'est le charme de l'étudiant parisien négligé, à 40 ans chez Chiara ça fait pitié. ( heureusement Deneuve sauvegarde même au réveil ses impeccables brushing!)
- nous faire les coups scénaristiques du printemps de Prague, de l'épidémie du SIDA, de l'attentat des tours jumelles, de l'insémination artificielle avec un copain gay et du suicide dans un même film, c'est un peu too much non?

En somme Honoré fait un cinéma saturé de références auquel il mêle des thématiques propres ( l'amour multiple, le deuil, l'errance urbaine, les relations impossibles) qui finissent à force de citations par manquer d'originalité.





MES RAISONS POUR BIEN AIMER:
- Catherine Deneuve ( sans autre forme d'argument)
- un casting masculin à tomber ( Le beau tchèque Jarosmil et Anderson l'américain joué par Paul Schneider excellent acteur, même Michel Delpech est parfait!)
- des mélodies de Beaupain qui accrochent bien ( malgré leur peu de variations) et nous bercent dans leur douce mélancolie un peu surannée
- quelques scènes bien dialoguées (en anglais!) et assez originales ( la rencontre Vera/ Anderson, l'achat du sari, Clément dans la chambre de Madeleine en pleurs)
- je réfléchis....je réfléchis....mais je dirais un certain charme paradoxal qui émane de cet ensemble composite, quelque chose de l'ordre du guilty pleasure pour un produit mal foutu et enrobé des saveurs faciles de notre époque: branchitude parisienne, culture internationale, intellectualisme cool, mixité en tout genre, bref tout ce qui fait la marque de ma génération..
(et cela fait partie de mes raisons pour bien aimer??)




C'est pour cela que le cinéma de Christophe Honoré me fait davantage penser à celui de Roger Vadim ( que j'aime bien malgré ses défauts) qu'à celui des maîtres de la Nouvelle Vague ( que je n'arrive pas à aimer vraiment malgré ses qualités). Comme Vadim, Honoré à du talent pour saisir l'air du temps, s'inscrire dans l'esprit d'une génération, nous séduire avec ses vedettes et ses effets de style... mais son cinéma vieillira affreusement vite et aura le charme de nos amours démodées.



samedi 25 février 2012

MEDUSE/PERSEE

"Il peut nous arriver de regarder quelque chose avec l'idée que cela peut nous nuire. Nous l'admirons sans joie. Par définition le mot admiration ne convient pas: nous vénérons quelque chose dont l'attrait qu'il exerce sur nous tourne à l'aversion. En employant le mot "vénérer" nous retrouvons Vénus. Alors nous approchons du verbe "méduser": "ce qui entrave la fuite de ce qu'il nous faudrait fuir et qui nous fait vénérer notre peur même, en nous faisant préférer notre effroi à nous-mêmes, au risque que nous mourions."



"La fascination signifie ceci: celui qui voit ne peut plus détacher son regard. dans le face à face frontal, dans le monde humain aussi bien que dans le monde animal, la mort pétrifie.
Le masque de Méduse, c'est le masque de la fascination elle- même; c'est le masque qui pétrifie la proie devant le prédateur. C'est le masque qui fait une pierre de l'homme vivant."




"Caravage disait :"Tout tableau est une tête de Méduse. On peut vaincre la terreur par l'image de la terreur. Tout peintre est Persée" Et Caravage peignit Méduse."

Extraits de "Le sexe et l'effroi" de Pascal Quignard
Photographies Sébastien PaulLucien



vendredi 24 février 2012

DORMIR AVEC CEUX QU'ON AIME

"Je savais que ça arriverait un jour, et que ce jour culminerait en intensité sur l'échelle des événements de ma vie passée et future. Quelque chose s'était approchée, à portée de main, que je pouvais toucher en rêve et qui me rendait heureux. Une chose qui n'était pas le succès mais cette catastrophe et lumineuse qu'on pourrait appeler , je crois, le dernier amour."


Ainsi commence le dernier roman de Gilles Leroy, écrivain français à la veine autobiographique féconde, récompensé par le prix Goncourt en 2008 pour "Alabama song", autre récit biographique donnant la voix à Zelda Fitzgerald. Comme tous les prix Goncourt, Gilles Leroy a été invité de par le monde pour présenter son roman et en promouvoir les traductions. Cette errance de luxe à travers les ambassades, hôtels et librairies du monde entier sert de toile de fond à son récit autofictif. J'ai eu le plaisir de le croiser à Buenos-Aires notamment avec mon groupe d'élèves, occasion relatée à la page 124 du roman "Je n'étais pas frais en arrivant ce matin au lycée français de Buenos-Aires (...) heureusement les lycéens ouvraient sur moi de grands yeux bienveillants - très frais eux et bien réveillés." ( clin d'oeil!)


Buenos-Aires occupe d'ailleurs un long et beau chapitre du roman: ville de l'exil, du lointain, de la distance avec l'être aimé. Celui-ci est un jeune roumain rencontré à Bucarest. Objet du désir et de l'ultime cristallisation, il est l'amant chéri et l'amour impossible auquel est consacré le livre.
Il s'agit d'un roman fortement autobiographique sur la solitude voyageuse d'un écrivain marqué par la mélancolie et la fièvre amoureuse. Le déchirement entre le désir fou d'aimer et la lucidité de l'homme mûr donne prétexte à une touchante analyse psychologique sur les derniers (?) feux amoureux, servie par le style précis et subtil propre à l'écrivain.


J'avoue pourtant avoir moi-même oscillé au cours de la lecture entre le plaisir procuré par la démonstration de sincérité personnelle et la "justesse" littéraire des événements intimes décrits.... et un sentiment de gêne, voire de refus, face à cette confession impudique et si autobiographiquement affichée. Effet de miroir probablement... Volens malens, on n'échappe pas au ridicule de l'état amoureux, et ce ridicule est terrible quand s'y rajoutent la différence d'âge, de culture, de statut social... L'expérimenter est déjà une disgrâce en soi, le raconter est un péril, voire une posture auto-sacrificielle... Gilles Leroy a le mérite de l'analyser et d'assumer cette posture dangereuse au cours de nombreuses pages et d'user d'extrêmes précautions littéraires pour la décrire. Alors est-on face à un exutoire par l'écriture ou à une mise au pilori littéraire?

Quelque chose en moi résiste à ce livre et c'est là un autre des mérites de cette oeuvre. Un malaise qui a à voir aussi avec le projet narratif, mon peu de goût pour le genre autofictif, genre si vague du reste à définir. Je lui préfère s'il est question de confession, le journal intime à publication posthume. Je crois en fait que j'attends d'un écrivain qu'il pose une instance narrative dans laquelle je ne sois pas amené à identifier aussi directement la personne réelle de l'auteur. Avec le masque de Zelda ou de "Zola Jackson", Gilles Leroy parlait de lui avec une distance qui témoignait à la fois de son intimité propre et de son ingéniosité comme écrivain à inventer une autre voix. Dans "Dormir avec ceux qu'on aime", l'écrivain fait glisser le masque, l'homme s'exhibe et le lecteur a envie de crier "Leroy est nu".

Peintures de GONZALO ORQUIN via
http://elmusculooblicuo.blogspot.com/2011/12/gonzalo-orquin-la-mirada-cotidiana.html


jeudi 23 février 2012

mercredi 22 février 2012

THE UNSPEAKABLE MAURICE


Une rétrospective perso des grands classiques de James Ivory me fait revoir un de ses chefs- d'œuvres "Maurice". Adolescent ce film alors "sulfureux et audacieux" était un des premiers à traiter le thème de cet "amour qui n'ose dire son nom" pour un plus large public qui y trouvait aussi le crédit ou le prétexte littéraire du roman de E.M Forster. Les premiers émois et tourments du jeune étudiant Maurice était aussi ceux de jeunes spectateurs comme moi qui dans l'obscurité de la salle voyait soudain projeter sur l'écran une histoire d'amour différente à laquelle pouvoir se référer et le combat inédit d'un personnage pour l'affirmation de soi et de ses désirs.




C'est une émotion différente vingt ans plus tard, mais tout aussi forte, à la fois nostalgique de cette étape de la vie qu'est la sortie de l' âge de l'innocence mais aussi consciente du chemin parcouru et des routes qu'il reste à ouvrir.
La grandeur du film, un efficace drame social et psychologique, repose surtout sur une question qui va au-delà de la revendication homosexuelle et qui est comme toujours celle de la liberté individuelle, du droit à l'épanouissement et à la reconnaissance dans une société épouvantablement répressive. Ce sont ces passages les plus "politiques" qui me touchent aujourd'hui, ceux où le personnage refuse la résignation, s'inscrit avec "attitude" dans la voie érotique qui est la sienne, franchit les barrières de la convenance hypocrite, des jugements médicaux et légaux, transgresse les frontières sociales en couchant avec un domestique qui le fera accéder à l'amour véritable.





La beauté et le talent des acteurs tellement saisis à fleur de peau, la finesse de la réalisation et le luxe édouardien de la mise en scène auquel Ivory nous a toujours habitué... tout ceci ne peut pas nous faire oublier qu'on assiste à des drames intimes en série et à la mise en accusation d'une des plus violentes injustices que la civilisation fait peser sur l'individu : la négation du droit d'aimer, donc de vivre au sens le plus élémentaire du terme.