lundi 24 mai 2010

Κωνσταντίνος Πέτρου Καβάφης


« L'un des plus grands, le plus subtil en tout cas, le plus neuf peut-être, le plus nourri pourtant de l'inépuisable substance du passé.» Yourcenar qui l'a traduit et préfacé dans une édition aujourd'hui épuisée, parle ainsi de Constantin Cavafy.
Grec de Constantinople et surtout d'Alexandrie, poète de l'ombre à l'oeuvre aussi minimale que rayonnante (environ 150 poèmes jamais vraiment publiés de son vivant, sans cesse retravaillés et diffusés sur feuilles volantes dans de rares revues ou auprès d'amis), il est comme Baudelaire ou Pessoa un artiste de l'intranquilité, du spleen et de la nostalgie sensuelle. Cavafy, écrivain du mythe et mythe d'écrivain, pour lequel l'hellénisme est la foi en une sagesse éternelle exprimée dans la langue des dieux, le grec, hérité d'Homère et irrigué par des siècles de barbarisme aux charmes progressivement adoptés.



On peut savourer son art sans le trop écrasant apparat critique qui l'accompagne et relie chaque nom et chaque allusion à l'histoire d'Athènes ou de Byzance. Celui-ci cependant ouvre le lecteur à une intertexualité érudite et fascinante. Les références minutieuses où s'ensevelissent les vers de Cavafy sont comme des gangues qui cachent la beauté précieuse d'images intactes depuis l'antiquité: la grâce juvénile des corps fixés hors du temps par le regard du poète, le frisson d'une extase illuminant une nuit secrète, l'ardeur inexpugnable d'un désir combattu en vain. Les jeunes kouroi qui traversent cette oeuvre, qu'ils sortent d'une rangée de mercenaires spartiates ou d'un garage des faubourgs d'Alexandrie, laissent un sillage lumineux dans cette nuit obscure où s'écrivit l'oeuvre de Constantin.


Son culte de la clandestinité et d'une mélancolie orientale qui rend sa poésie définitivement "rétrospective", souvent manièriste et affectée, peut fatiguer les esprits les plus avant-gardistes. Mais ce serait ne pas saisir qu'en se penchant au bord de ce puits d'oubli qu'est la poèsie grecque ancienne afin d'y pêcher une inspiration nouvelle, et en choisissant de revitaliser la langue grecque aux sources mêmes que l'on croyait taries, Cavafy fait preuve d'une attitude précisement moderne. La modernité ayant toujours consisté à débusquer dans les formes triviales du présent ( les bars et chambres d'Alexandrie?) les données constantes de l'âme humaine, ses turpitudes, ses moments de gloire, sa vulnérabilité et sa grandeur.



" Je me prends à rêver Désirs et sensations
voilà mon apport à l'Art- choses à peines entrevues.
visages ou profils; quelques vagues souvenirs
d'amours inachevées. Je m'abandonne à lui.
Il sait reconstituer la Figure du Beau;
en complétant la vie presque insensiblement,
en reliant les impressions, en rapprochant les jours."


MON APPORT A L'ART in "En attendant les barbares" trad. Dominique Grandmont

"Ce qui a compté pour lui, c'est une certaine heure, un certain jour, d'une certaine année 1909, 1911 ou 1912, un certain moment d'amour ou de plaisir inoublié."
Marguerite Yourcenar Les yeux ouverts, Paris, Le Centurion, 1980, p.193

EXTRAIT DU FILM GREC KAVAFIS:
http://www.youtube.com/watch?v=zSkEVTPj84s&feature=related


2 commentaires:

St Loup a dit…

Merveilleux billet! Bravo!
"Ce qui a compté pour lui, c'est une certaine heure, un certain jour, d'une certaine année 1909, 1911 ou 1912, un certain moment d'amour ou de plaisir inoublié."
Marguerite Yourcenar Les yeux ouverts, Paris, Le Centurion, 1980, p.193

Sébastien Paul Lucien a dit…

J'adore ta précision universitaire dans la citation et surtout ta pertinence pour trouver toujours le commentaire juste! Gracias Saint-Loup