mardi 23 février 2010

MADAME PROUST



Etre aimé et servi par la même personne, tel fut le leitmotiv de la vie de Proust. Après la dévotion de sa grand-mère, l'amour asphyxiant de sa mère pour ce fils asthmatique, la servitude généreuse de Félicie la gouvernante pour Monsieur Marcel, le jeune homme eut bien du mal à trouver satisfaction auprès des duchesses égocentriques, des jeunes filles en fleurs et en fuite ou des jeunes chauffeurs de taxi trop pressés... L'amitié et l'amour n'étaient que de pâles esquisses, comparé au tableau parfait qu'offre une adoration faite de sacrifice et d'abnégation totale au dieu Proust et à tous ses caprices.
Mais ces sortes de tyrans narcissiques et hyper-assistés ont le génie de la séduction et de la manipulation pour s'attirer les tendresses d'autrui et les soumettre à leurs désirs et ordres.
Quand il rencontre la jeune Céleste Albaret, jeune campagnarde débarquée à Paris, l'écrivain déjà reclus dans sa cellule de liège renifle la proie parfaite à domestiquer et zombifier.
Epouse du non moins dévoué Odilon Albaret, chauffeur de taxi que Proust dénicha et dont il sut gagner l'exclusivité à Cabourg en même temps que celle d'Agostinelli ( tiens, tiens...), la bonne Céleste entra dans les ordres du temple du boulevard Hausmann et devint la vestale et l'esclave du maître des lieux.


Dans ses mémoires rédigés avec l'aide d'un critique qui n'hésite pas à les augmenter et à les extrapôler, elle évoque ces treize années passées auprès de cet homme qu'elle n'eut de cesse d'idéaliser et de vénérer jusqu'à l'aveuglement et au ridicule que seule une passion amoureuse pourrait expliquer. Vivant au rythme de ses horaires nocturnes et de ses fantaisies domestiques, elle fut la gardienne et ouvrière infatigable de la ruche proustienne où l'auteur en reine des abeilles faisait son miel de ses souvenirs, parmi l'essaim imaginaire de ses milliers de personnages. Témoin précieux de part l'intimité exclusive dont elle jouit avec l'homme et son oeuvre ( elle fut sa confidente, sa secrétaire, sa courrière, sa scribe, sa "paperolière!), ses confidences sont cependant sujettes à caution du fait de l'idolâtrie et de la subjectivité amoureuse qui les submergent.
Ainsi le Proust qui se dessine dans cet ouvrage est une sorte de saint souriant et larmoyant, omniscient et asexué, voilé dans la blancheur de ses fumigations et auréolé d'une chasteté d'éternel enfant surdoué...Vraiment ma bonne dame?


Malgré tout on apprend mille détails sur l'écrivain et son travail, on se régale ou s'effraie de ses répliques savoureuses et de ses abominables manies si minutieusement reproduites par Céleste qui grâce à ce mimétisme que le dévouement et la claustration favorisent, a developpé une mémoire et un sens de l'analyse sociale et psychologique presque aussi aigus que ceux de son maître.
Bref Céleste Albaret, servante et femme comme on n'en fait plus (!), illustre la force du dévouement et du sacrifice tels que Proust les célèbre dans son oeuvre et tels qu'il a su en profiter dans son existence. Sacrifice et dévouement qu'il sut fournir lui-même dans l'écriture de son livre interminable.
Sans elle, sage-femme auprès du vieux bourdon, l'oeuvre n'aurait certainement pas vu le jour ou aurait abouti différemment. La fécondation de cet homme-enfant nécessitait une mère de substitution, chaste épouse inséminant l'artiste inverti en le débarassant des servitudes humaines, sage-femme accouchant le créateur de son oeuvre monstrueuse.
Un des plus grands chefs d'oeuvre de la littérature a été ainsi porté et couvé par une petite provinciale qui ne l'a pas même lu ni compris entièrement (comme beaucoup d'entre nous du reste)...

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