mardi 27 janvier 2009

LE PRINCE FRIVOLE


Le documentaire consacré à Karl Lagerfeld est funestement intitulé "Lagerfeld confidentiel" et évidemment c'est au mondain orné de ses multiples masques et parures de toutes espèces que nous avons affaire, sans jamais croiser l'ombre de la moindre confidence possible.
Le film sur le plan de la réalisation est pitoyable: images floues, sombres, tremblantes telles qu'un amateur n'oserait les montrer, (mais on dira que ce négligé, c'est un effet de style!) musique écrasante et grandiloquente, plans séquences ennuyeux et truffés de clichés ( tempête, crépuscule, aéroport...) interview ( on n'ose utiliser le mot entretien) d'une platitude navrante avec une incapacité à formuler correctement ou intégralement une question ( et quelles questions!) aucune ligne conductrice, aucun moment émouvant, aucune révélation. S'il fallait relever un moment significatif et valable du reportage ce serait lorsque le réalisateur pénètre dans les WC de sa majesté pour filmer l'amusante affiche collée au mur " Si tu pisses partout , t'es pas Chanel du tout". Voilà résumé en une formule,l'attrait pour l'anecdotique, le racoleur et le trivial qui caratérise l'ensemble. On se demande pourquoi le vieux singe Lagerfeld a choisi pareil ectoplasme pour l'accompagner et témoigner de son quotidien sinon de son improbable personne. Par narcissisme et cynisme? par désinvolture? qui est l'invité de ce dîner de cons?


Venons-en au personnage, car c'est bien en ces termes qu'il faut parler de Lagerfeld. Doué, brillant, subtil, pur produit d'une élite européenne sur-cultivée, on lui reconnait sa part de génie créatif, le génie de la mode, du changement, de l'art de l'éphémère si difficile à capter et à restituer. J'apprécie souvent sa répartie, ses formules lucides et catégoriques sur son métier et son milieu, ses "réflexions" pertinentes sur la morale et notre époque, bref, l'individu n'est pas déplaisant et il fait perdurer ces modèles de "grandes dames" disparues que furent Oscar Wilde, Montesquiou,Ludwig de Bavière ou Visconti ( ça c'est pour l'hommage!).




Mais contrairement à ses ancêtres de la haute, Lagerfeld renonçant au sacrifice de l'art, a choisi de se consacrer à la sculpture de lui-même pour accoucher d'une créature dont le look et le style serait toute la substance. Réduit à sa plus stricte imago, il excelle donc dans un monde comme le nôtre qui ne cultive que cela, le bal des apparences, l'ère du vide, l'hystérie du provisoire. Et je ne parle pas de l'opportunisme commercial du snob médiatique, de la prostitution chic de ses talents dans toutes les vitrines du mercantilisme et de la publicité. Lagerfeld peut vendre en toute sérenité son âme au diable car il ne croit ni à l'une ni à l'autre. Il se sublime et s'idéalise en patineur furtif et inconstant sur le papier glacé de notre époque. C'est une figure libre, éternellement improvisée et en cela je crois qu'il devient non plus un créateur mais un "work in progress" en personne. Son intelligence de rapace ne lui autorise que la vitesse et la capture de l'instantané. La sensibilité, la profondeur, la quête de transcendance sont restées en râde. C'est hélas avec cela qu'on peut prétendre avoir des confidences à faire. Karl le sait et en rit, les responsables du film ont été bernés. Et le spectateur aussi.


Un dernier point : KL se revendique photographe et il a la classe modeste de rajouter " de publicité"! Son oeil, sa culture, sa rapidité, son sens hyper pointu de l'esthétisme lui auraient permis en effet d'être un artiste photograhe intéressant. Mais il noie sa vélléité artistique dans le luxe : matériel dernier cri, studio immense, armada d'assistants, top models et décors somptueux... avec tout cet attirail difficile de rater un shoot! Mais la beauté est encore plus loin que sa simple apparence. Karl réussit parfois de magnifiques images (voir plus bas) mais l'essentiel de sa production reste comme sa personne: scintillante et anecdotique, celle d'un vieil enfant trop gâté.


1 commentaire:

André a dit…

Splendide analyse. Ni méchante, ni complaisante. Pardon! je suis un lecteur récent.