mardi 29 décembre 2009

L'ENIGME DU RETOUR



Dany Laferrière est un auteur de la diaspora haïtienne installé depuis trente ans au Canada où il mène une brillante carrière: "Comment faire l'amour à un nègre sans se fatiguer", "Le pays sans chapeau", "Vers le sud" dont Cantet a tiré un très beau film sont les ouvrages que j'avais déjà eu le plaisir de lire.

Avec "L'énigme du retour", titre magnifique et puissant, il a remporté le prix Médicis:
Le narrateur après l'annonce de la disparition de son père, exilé politique comme lui, mais qu'il a très peu connu, s'en revient en Haïti pour redécouvrir un pays dévasté, sa famille, des amis...



L'originalité du roman tient à ce qu'il alterne des passages de prose narrative avec des versets poétiques plus descriptifs ou méditatifs qui rappellent la forme du texte auquel le titre fait référence: " Cahier d'un retour au pays natal" du père spirituel Aimé Césaire disparu il y a peu lui aussi.
Loin d'être un texte testamentaire ou nostalgique, c'est la réalité haïtienne actuelle qui inonde les pages avec ses couleurs et ses douleurs, ses cris et ses murmures dans la nuit.



Sans complaisance parfois mais avec un lyrisme viscéral, Lafferière essaie de comprendre et de transmettre une identité haïtienne riche de contradictions et tissée de réseaux complexes.
Pour moi qui ai vécu intensément sur cette île mes premières années " d'exil confortable et choisi" ( on appelle cela l'expatriation!) c'est à une immersion profonde dans l'argile de la mémoire et de la terre caraïbe que ce roman m'invite. Je retrouve intactes les visions et sensations de mes débuts à Port-au-Prince et Jacmel et les réminiscences affleurent à chaque page avec une intensité étonnante faite de joie et de souffrance simultanées.


samedi 19 décembre 2009

AIMEZ-VOUS BRAHMS?



Ou préférez-vous la petite musique de Sagan? On se laisse prendre avec nonchalance à son récit délicieux, (ou avec délice à ce récit nonchalant?).
Paule, parisienne de 39 ans, un amant plus âgé qui la trompe et la délaisse, un trop jeune et trop ravissant prétendant qui lui apporterait un nouveau souffle, un dernier élan qu'elle craint? Cela n'a l'air de rien, personnages et trame, mais le style simple et juste, marqué de touches mélancoliques et profondes, finit par nous gagner et sonner vrai. Joli concerto, un rien romantique, crépusculaire et tendre.

"Et vous, je vous accuse de ne pas avoir fait votre devoir d'être humain. Je vous accuse d'avoir laissé passer l'amour, d'avoir négligé le devoir d'être heureuse, d'avoir vécu de faux-fuyants, d'expédients et de résignation. Vous devriez être condamnée à mort, vous serez condamnée à la solitude."

Françoise SAGAN
Aimez-vous Brahms?

vendredi 18 décembre 2009

LES FANTOMES DE MARSEILLE PAGNOL



Ce titre d'une chanson de Guidoni renvoie ici aux actrices qui ont inspiré le cinéaste Marcel Pagnol et qui sont au coeur de ses films néo-réalistes. Si on enlève les excès d'histrionisme de ses comiques vedettes (Raimu, Fernandel) ainsi que de trop franches séquences de pagnolades que réclamait le gros du public, on obtient les merveilleux moments où brillent de jeunes femmes aimées par le réalisateur. Sauvageonnes séductrices ou modestes citadines, filles à parents terribles prises aux pièges des garçons qui les charment et les abandonnent, elles incarnent une féminité nouvelle sur les écrans de cette époque.



Certes Orane Demazis formée au muet conserve des traits expressionistes parfois trop marqués, mais c'est justement ce dramatisme qui souligne le passion de la petite poissonière aux amours sacrifiés. La déambulation de Fanny dans les rues de Marseille, alors qu'elle vient de s'entendre confirmer sa grossesse illégitime est un grand moment d'émotion et de simplicité, originalement capté par un travelling depuis le tramway. Celle-ci la conduit jusqu'à la cathédrâle où elle supplie la vierge de lui donner du courage. Peu de dialogues, un traitement naturaliste, un sommet de lyrisme.



Je souligne ici par ailleurs que Pierre Fresnay et Orane Demazis illustrent un des plus beaux couples des années trente à l'écran.



Josette Day sera sa compagne durant l'occupation et il placera chez Cocteau qui en fait l'héroïne merveilleuse de "La Belle et la Bête". Dans "La fille du puisatier" elle est une admirable fille modèle se laissant prendre aux loopings d'un aviateur qui dans son audacieux maillot de corps prend ici des poses sur sa moto qui n'auraient justement pas déplu à Cocteau...



Exception faite à sa faiblesse pour les blondes, Ginette Leclerc rescapée du "Corbeau" de Clouzot est une "Femme du boulanger" mélancolique qui fuit dans les bras d'un gitan. Boudeuse et sensuelle, rondelette et blanche comme de la pâte à pain, cette brune figure aussi parmi les actrices auxquelles ma mère s'identifiait!



Avec Jacqueline Bouvier ( pas celle de Kennedy, mais la future Mme Pagnol) il trouve sa muse sans accent ( dommage pour la perte de charme provençal, car on a du mal à se figurer une méridionale parlant pointu!). Elle est une éblouissante "Naïs craignant les colères de son père et soupirant sous le clair de lune avec le fils de la patronne!





Plus tard elle campera "Manon des sources" la fille des collines à la chevelure d'or que tout un village maudit. On imagine quelques années plus tard ce que Bardot aurait donné dans ce rôle taillé pour elle! Heureusement il y eut Emmanuelle Béart pour ressuciter la fantômette des collines.

mercredi 16 décembre 2009

CROSSING SUMMER


Un inédit de Truman Capote oublié à vingt cinq ans dans un vieux carton chez un oncle et conservé par la concierge? Oui il s'agit d'un roman bref et intense intitulé"Crossing summer", "La traversée de l'été" qui porte déjà en lui les qualités des oeuvres à venir et les thèmes chers au futur dandy décadent: la transgression, le scandale, éros et thanatos menant une danse fièvreuse entre palaces luxueux de Manhattan et bas-fonds.




Grady jeune aristocrate new-yorkaise profite de l'absence de ses parents voyageant en France pour se marier avec le gardien du parking et détruire dans la chaleur estivale son bel avenir. Les catastrophes et les grands bonheurs se produisent toujours sur des coups de tête ou coeur. Tout ce petit drame est traité avec la grâce acide et le sens exact du détail que Capote saura perfectionner par la suite. On songe à "Bonjour Tristesse" de Sagan, même acuité, même précocité dans le désespoir, même peinture impressioniste du choc entre classes sociales et entre sentiments mal compris.

"Crossing summer" aurait donné un beau film avec Brando dans le rôle du mauvais garçon et Grâce Kelly dans celui de la blonde débutante, couple magnifiquement mal assorti, comme on les aime.

dimanche 13 décembre 2009

HANS

Le jour de la Vierge les jeunes garçons trop blonds trébuchent dans les escaliers, c'est bien connu...







www.saintsebastien.blogspot.com

CORTO MALTESE, L'HOMME A FABLES



"Sarrebbe bello vivere una favola"

Hugo Pratt semble avoir résolu ce désir fabuleux en faisant vivre à son personnage Corto Maltese toutes les aventures rêvées, tous les voyages impossibles.
Je découvre grâce à des cours d'italien, les albums de Corto, le beau ténébreux toujours au coeur de mystères, d'histoires troubles, de symboles ésotériques et d'énigmes du passé... En Sibérie sur les traces de l'or des tsars, à Venise dans le labyrinthe des calle et des charades francs-maçonniques, le marin solitaire passe de l'action au monde des songes et du merveilleux, des territoires en guerre aux chambres voluptueuses, des bas-fonds aux palaces prestigieux avec une élégance et une morgue héritées d'un autre temps.



Même si les intrigues sont un peu échevelées et fumeuses, il plane dans ces albums un romantisme sombre et exotique qui ne peut que me séduire. Certaines vignettes des profils de Corto se détachant sur la place Saint-Marc ou du fond d'une alcôve ont des charmes insoupconnés.
Dans "Fable de Venise" Corto reçoit une lettre d'un certain Baron mystificateur qui semble l'avoir cerné en quelques lignes:

"Toi Corto,... l'éternel fainéant,
l'ingénu Don Quichotte de quatre sous,
le séducteur frustrant et frustré,
le parasite romantique,
peut-être même sentimental..."


samedi 12 décembre 2009

COMPANIA NACIONAL DE DANZA DE ESPAÑA



Un programme magnifique mêlant virtuosité, vélocité et expression en trois temps:

GNAWA autour des tambours marocains et de la transe collective



O DOMINA NOSTRA sur la vierge marie et un choeur de diz chrits transfigurés



COBALTO sur le bleu de l'intimité et de la sexualité



A la fin du spectacle, après cet état de grâce et ces visions d'un esthétisme surnaturel, il est amusant d'entendre le public, pourtant supposément instruit par la distribution des programmes sur le contenu des pièces , parler de la première partie comme de " una cosa bien folklorica" ou du "pescado en el agua azul" ?? de la fin où il était question de sexe ! Mais pourquoi pas après tout.

vendredi 11 décembre 2009

LE VRAI SCANDALE DES AMANTS




"Les amants", de Louis Malle...film à scandale?
On en sourit aujourd'hui. En son temps, le film avait l'audace de présenter une description décomplexée de l'adultère d'une jeune et jolie bourgeoisie qui s'ennuie entre son riche mari et son fringant amant et qui s'enfuit avec le premier venu au petit matin.







Aujourd'hui ce qui provoquerait un scandale, hélas de ridicule pour les esprits trop secs, c'est la tonalité hyper romantique et à l'eau de rose de la séquence nocturne finale, quand les amants en question se promènent dans le parc au clair de lune, dérivent sur l'eau d'une rivière enlacés dans une barque, font l'amour sous des draps blancs et chastes ou se glissent lovés dans la même baignoire.
Jamais dans un film d'auteur qui prétend proposer un point de vue moral sur sur une classe sociale, on ne poussa si loin le goût de la romance et l'esthétique de la passion soudaine, irrésistible.





Qui oserait de nos jours écrire des dialogues aussi "crus" que ceux-ci sans faire éclater d'un rire sinistre, les pragmatiques primates hyperséxués de notre génération?

"Mon amour, tu es mon amour... je t'ai toujours connu... oh je t'aime, tu es beau... j'aime ta peau...je voudrais que cette nuit dure toute la vie, mon amour."
...sachant que les protagonistes ne se connaissent que depuis quelques heures à peine.



Mais voilà, c'est justement cela l'amour, cet épanchement lyrique, pulsionnel, incontrôlable qui fait couler des lèvres des paroles de miel et déborde de tous les cadres de nos conventions sociales, morales ou intellectuelles.
Jeanne Moreau et son amant sont sublimes. Et Louis Malle a raison de montrer la nudité et l'évidence d'un amour qui se dit et se fait sans détours.

"Le vrai sacandale c'est la mort" a su chanter la Jeanne.
C'est ausi d'oser aimer avec une telle fulgurance et sans avoir jamais la moindre notion ni du ridicule ni de l'irréparable.

jeudi 10 décembre 2009

BUIKA EN VIE



Récital hors du commun que celui de Concha Buika au Gran Rex de Buenos-Aires.
Triomphe assuré dès la première chanson où s'installe la magie de son trio de musiciens, pianiste génial, percussioniste hors pair et subtile contre-basse.
La voix de Buika est un phénomène en soi, dans ses textures, sa puissance, ses vibrations et sa musicalité extrême qu'on ne sait situer vraiment puisque le génie propre de cette interprète est de circuler avec virtuosité du canto jondo aux scatt du jazz, en poussant aussi ses trémolos et ses soupirs du côté du tango, du bolero, de la ranchera.
Sur cette scène, dans le cadre étroit de son tapis où elle évolue pieds nus, elle convoque littéralement toutes les entités qui jouent avec nos coeurs, la passion, la nostalgie, la rage et le remords, l'espérance et le désespoir le plus sombre.



L'écouter chanter des tangos comme "Volver" ou "Nostalgias" en Argentine revêt une dimension sentimentale particulière d'autant plus qu'elle se les fait siens en les colorant de flamenco et de pulsations africaines. Le caractère très magique et saisissant de ce récital est que Concha Buika de par ses origines, son vécu et ses goûts réussit une synthèse musicale inouïe: Afrique, Espagne, Caraïbe et Amerique latine mêlent leurs accords dans sa gorge. Par cette habile fusion et ce métissage inné de cultures poétiques et musicales si variées, Buika démontre qu'elles émanent toutes de la même âme universelle, celle d'une humanité douloureuse ou exaltée qui se console et se transcende dans le chant et le compas d'une rythmique.



Les pouvoirs de captation et d'envoûtement de cette artiste , pour user d'une image un peu facile en ce cas,la range sans aucun doute dans la lignée des grandes voix auxquelles elle rend hommage et dont elle perpétue l'héritage de femmes libres et fières: Chavela Vargas, Mercedes Sosa, La Lupe, Celia Cruz, Lola Flores, Myriam Makeba, Billie Holliday... Magnifique dans sa robe rouge fourreau et sous l'éclat baroque de colliers et lourds bracelets rutilants, elle fait preuve d'une simplicité et d'un naturel désarmant dans ses interventions, ses commentaires drôles et poétiques qui veulent comme sa voix aller par le plus court chemin possible, droit au coeur.
A la standing ovation et au triple rappel, Buika reculait vers le fond de la scène pour se cacher dans les bras de ses musiciens comme un petite fille qui vient de briser quelque chose et a peur! Effrayée par son propre triomphe, elle demanderait presque pardon.




pour donner une sensation:
http://mondomix.com/fr/show-video4533.htm

mardi 8 décembre 2009

LA MARIEE ETAIT EN NOIR



Une femme veut se venger du meurtre de son mari tué le jour de ses noces sur le parvis de l'église par une balle perdue. Elle retrouve un après l'autre les hommes impliqués dans cette affaire et les assasine froidement. Sur cet argument à la fois criminel et passionnel, Truffaut construit un film à séquences autour de Jeanne Moreau , incarnant une figure de la Némesis aux visages multiples.



Elle devient ainsi la femme fantasmée de chacun des hommes qu'elle poursuit, la maîtresse rêvée du cavaleur, la femme inaccessible du romantique, l'institutrice dévouée du père de famille, la putain du voyou, la muse du peintre ... Une occasion parfaite pour Truffaut de mêler une intrigue sombre à la Hitchcock à une célébration de l'éternel féminin.


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Les références à Cocteau sont aussi très présentes avec la figure de la Mort, la princesse chic aux gants de clinicienne d'"Orphée" qui s'éprend un peu de ses victimes, ou encore la Diane chasseresse qui lance sa flèche sur sa cible masculine comme dans "La Belle et la Bête".


Jeanne Moreau est toutes les femmes à la fois mais avant tout, une femme qui aime, une Antigone obsédée par une justice transcendant la médiocrité dans laquelle ces hommes se sont évadés.




"Il n'y a pas de pessimistes ni d'optimistes, il n'y a que des imbéciles heureux ou des imbéciles tristes."



Un montage original "remastérisé"!

http://www.youtube.com/watch?v=DspC6W6siVE&feature=related

REPLAY ROUGE